LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 juillet 2018 par le Conseil d'État (décision n° 419930 du 29 juin 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société d'exploitation de moyens de carénage par Me Xavier Moulière, avocat au barreau de Quimper. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-733 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2° de l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 75-678 du 29 juillet 1975 supprimant la patente et instituant une taxe professionnelle ;
- la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Me Moulière, enregistrées les 24 et 31 juillet 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 juillet 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour la chambre de commerce et d'industrie Métropolitaine Bretagne Ouest par Me Laurent Chatel, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées le 23 juillet 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour les grands ports maritimes de Nantes Saint-Nazaire, Marseille, Le Havre, Dunkerque, Rouen, La Rochelle et Bordeaux et pour l'union des ports de France par Me Chatel, enregistrées le 23 juillet 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Moulière, pour la société requérante, Me Chatel, pour les parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 septembre 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le 2° de l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2009 mentionnée ci-dessus, prévoit que sont exonérés de la cotisation foncière des entreprises :« Les grands ports maritimes, les ports autonomes, ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics ou des sociétés d'économie mixte, à l'exception des ports de plaisance ».
2. La société requérante reproche à ces dispositions de réserver le bénéfice de l'exonération de la cotisation foncière des entreprises aux collectivités territoriales, aux établissements publics et aux sociétés d'économie mixte gestionnaires d'un port, excluant ainsi, selon elle, les sociétés commerciales de droit commun à qui une collectivité publique a confié, en tout ou partie, la gestion d'un service public portuaire. Cette différence de traitement, fondée sur le seul mode d'exploitation du port, ne serait justifiée ni par une différence de situation ni par un motif d'intérêt général. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, de la liberté contractuelle et de la liberté d'entreprendre.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics ou des sociétés d'économie mixte » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts.
- Sur le fond :
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. Les dispositions contestées exonèrent de la cotisation foncière des entreprises, au titre de la gestion des ports autres que de plaisance, les collectivités territoriales, les établissements publics et les sociétés d'économie mixte. Elles ont succédé aux dispositions, issues de la loi du 29 juillet 1975 mentionnée ci-dessus, instituant une exonération de taxe professionnelle au bénéfice des mêmes gestionnaires d'un port.
7. D'une part, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 29 juillet 1975 que, en instituant cette exonération, le législateur a notamment entendu favoriser l'investissement public dans les infrastructures portuaires. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. À cette fin, il a réservé le bénéfice de l'exonération aux personnes publiques assurant elles-mêmes la gestion d'un port ainsi qu'aux sociétés à qui elles ont confié cette gestion et dont elles détiennent une part significative du capital.
8. D'autre part, en excluant du bénéfice de l'exonération les sociétés, autres que les sociétés d'économie mixte, dont le capital est privé, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi.
9. Toutefois, les dispositions contestées excluent également de leur champ d'application d'autres sociétés susceptibles de gérer un port, n'ayant pas le statut de sociétés d'économie mixte, mais dont le capital peut être significativement, voire totalement, détenu par des personnes publiques. Tel est le cas en particulier des sociétés publiques locales, dont les collectivités territoriales ou leurs groupements détiennent la totalité du capital. En excluant de telles sociétés du bénéfice de l'exonération, le législateur a, compte tenu de l'objectif qu'il s'est assigné, méconnu les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
10. Par conséquent, les mots « ou des sociétés d'économie mixte » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts doivent être déclarés contraires à la Constitution.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le reste des dispositions contestées ne méconnaît pas les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Ces dispositions ne méconnaissent pas non plus la liberté contractuelle, la liberté d'entreprendre ou aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Les mots « ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts doivent donc être déclarés conformes à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
13. En l'espèce, l'abrogation immédiate des mots « ou des sociétés d'économie mixte » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts aurait pour effet d'étendre l'application d'un impôt à des personnes qui en ont été exonérées par le législateur. Or, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications des règles d'imposition qui doivent être choisies pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2019 la date de cette abrogation.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « ou des sociétés d'économie mixte » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 13 de cette décision.
Article 3. - Les mots « ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, sont conformes à la Constitution.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 septembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 21 septembre 2018.